Bonjour à toutes et à tous !
Merci d’être fidèles au rendez-vous pour cette 8ème interview de ma série Les Etinc’elles.
Aujourd’hui je vous partage le témoignage de Gabrielle. Désormais institutrice, épouse et maman, Gabrielle a vécu pendant son adolescence une période très difficile, de longues années dans l’ombre de cette terrible maladie : l’anorexie. Elle m’a raconté son histoire à cœur ouvert, comment elle a réussi à surmonter sa maladie, ce qui l’a aidée, mais aussi comment son mariage et sa maternité l’ont aidée à développer sa féminité.
J’ai été très touchée par cette discussion à cœur ouvert. Je suis persuadée que les témoignages peut être d’une aide précieuse pour ceux qui souffrent, alors MERCI Gabrielle d’offrir tes mots et ton récit à notre belle communauté.
Allez, j’arrête de bavarder et je vous laisse découvrir son histoire.
Bonjour Gabrielle, raconte-nous qui tu es !
Je m’appelle Gabrielle, j’ai 26 ans et aujourd’hui je pense pouvoir dire que je me sens vraiment pleinement femme. Je suis mariée et j’ai un petit garçon de 11 mois. Je suis professeur des écoles et j’ai deux passions : le chant et la photo.
Sinon j’ai horriblement peur de l’inconnu, je déteste quand je ne maîtrise pas les choses, je suis très franche, j’aime dire ce que je pense et je suis incapable de ne pas sourire, même quand je suis toute seule ! C’est absurde mais c’est comme ça.
Enfin, je dirais que je suis audacieuse, : fonceuse et téméraire.

©Mahaut Radenac @mahaut_photographies
Raconte-moi ton histoire avec l’anorexie.
La vraie grosse période d’anorexie a duré environ 4 ans, de la 3ème à la première année d’études. C’est une période sombre que j’ai vécue toute seule, mon entourage ne s’en est pas vraiment rendu compte, moi non plus d’ailleurs. Pas tout de suite. Puis quand j’ai réalisé ce qui m’arrivait, j’ai maquillé la réalité de sorte à ce que ça ne se voit pas.
Ce morceau de ma vie, c’est un peu le black-out : j’ai tout enfoui au fond de moi pour oublier cette période où finalement je n’étais pas vraiment moi.
Tout ce que je faisais était dicté par cette maladie qui abime l’esprit autant qu’elle meurtrit le corps et qui imprêgne tout dans le quotidien comme une ombre malveillante mais attirante qui vous survole.
Je ne sais pas vraiment comment je suis tombée dedans… mais ce qui me semble évident c’est que j’étais en pleine adolescence et que l’adolescence ne fait de cadeaux à personne.
En troisième j’étais encore foutue comme une enfant de 10 ans, je ne me sentais en décalage avec les filles de mon âge. Je n’étais pas comme les autres et moi, je déteste être à la traîne.
Et puis c’est une période où on commence à se poser de grandes questions existentielles : Qui je suis ? Qu’est-ce que je peux encore changer chez moi ?… Je me cherchais énormément, je me comparais beaucoup aux autres et je me dévalorisais sans cesse. Je me suis toujours comparée aux autres. A commencer par mes frères et sœurs.
Depuis la petite enfance, j’ai toujours eu l’impression d’être grosse, alors que je ne l’ai jamais été. J’ai toujours eu un drôle de rapport à la nourriture : très gourmande mais petit appétit.
Comment je suis tombée dans ce tourbillon infernal ? Je pense que c’est un tout qui a fait que du jour au lendemain je me suis dit « A l’aide, je ne me sens pas bien, je ne sais pas où est ma place, ni dans ma classe ni dans ma famille ni avec mes amis ». D’un coup j’ai commencé à manger de moins en moins sans m’en rendre compte. Arrivée au lycée je me pesais tous les soirs, si je n’avais pas perdu 100g dans la journée je pleurais et j’allais me coucher sans voir personne. Là, j’ai compris que quelque chose ne tournait pas rond mais je me suis enfermée dedans : j’avais le contrôle, je maîtrisais tout.
Ma bande de copain est partie au moment de la rentrée au lycée.
Ces amis étaient mes repères. Comme le sont les amis pour n’importe quel ado.
Sont ensuite arrivées les préoccupations du lycée, les jeunes filles déjà très « femmes » qui se promenaient avec leurs petits sacs à main et leurs talons façon Gossip Girl et moi j’étais encore avec mon Eastpack vert pomme sur le dos, mes Converse aux pieds, je j’avais jamais entendu parler de Gossip Girl et je lisais Maupassant et Harry Potter …
Je me sentais encore décalée, je ne cherchais pas à me faire de copines. Je n’avais confiance en personne. Mais j’étais joviale avec tout le monde. Je me fondais dans la masse et j’étais bien intégrée à ma classe. Sans plus.
Je me suis beaucoup isolée au lycée, et à partir du moment où l’on s’isole et où personne n’est au courant on est encore plus en danger. Je ne mangeais plus du tout le midi, j’arrivais à trouver des excuses à chaque fois, sauf le jeudi midi parce que je déjeunais chez une amie des parents. C’était le seul bon repas que je m’autorisais dans la semaine. Ensuite j’arrivais au lycée dégoutée en me disant que j’étais vraiment moche, je me dégoûtais et j’avais envie de vomir … Mais je mangeais quand même parce que je ne voulais pas attirer l’attention… Je détestais qu’on me parle de mon poids, ce qui est très paradoxal parce que j’aurais aimé qu’on se rende compte de ce que j’avais et qu’on cherche à m’aider, qu’on me témoigne de l’attention.
Mes journées se résumaient à me lever le matin, faire semblant de prendre un petit déjeuner, ne pas déjeuner le midi et en rentrant chez moi être contente de n’avoir rien mangé de la journée.
Je me disais donc que je pouvais goûter, et je me faisais des orgies de princes… J’étais anorexique mais j’aimais la nourriture, c’est juste que je voulais contrôler la sensation de faim. J’aimais encore plus tout ce qui était très gras, je mangeais du nutella à la cuillère sans pain, sans rien… Après je culpabilisais, je me trouvais horrible, je prenais beaucoup de salade au diner pour avoir un tout petit peu du reste. Maman me sortait des phrases qui me blessaient mais qui, je pense, étaient une manière pour elle d’exprimer qu’elle avait compris ce qui se passait « Gabrielle tes petites coquetteries de régime on s’en fiche, prends une part de quiche ! »…
Et quand j’estimais que je n’avais pas bien maîtrisé ma faim, j’allais me faire vomir. Je suis étonnée que maman ne m’ait jamais entendue d’ailleurs. Vomir en discrétion, un art que je maîtrisais à la perfection.
En fin de journée, je me saoûlais à la musique classique et je faisais le bilan, en pensant à ce que j’avais mangé, je me pesais pour vérifier que je n’avais pas pris de poids. Je faisais ma série de 150 abdos et je me couchais.
J’étais enfermée dans ma bulle, en me disant que je n’avais besoin de personne car personne ne me comprenait. L’anorexie c’est avoir toujours l’impression de ne pas avancer tout seul, d’avoir cette chappe de plomb sur les épaules qui rend plus facilement agressive, moins capable d’entendre les reproches et les remarques, irritée, très stressée pour les notes…
Ne plus se reconnaître mais se complaire dans cette situation.
Je ne suis jamais partie à l’hôpital mais je suis descendue à 39 kilos pour 1m66. J’ai vraiment mis deux ans à me rendre compte que j’étais anorexique. J’avais vu une amie précieuse sombrer et partir à l’hôpital. J’ai fini par comprendre toute seule.
J’ai commencé à me demander pourquoi je fondais en larmes à chaque retour de vacances parce que j’avais pris 200g… Je me sentais de plus en plus aigrie, et en même temps super forte parce que j’avais le contrôle sur tout.
Mes amis et ma famille ne s’en sont jamais vraiment rendus compte, ou du moins ils n’ont jamais rien dit : je continuais à sourire, à aller chanter à la chorale, je faisais comme si tout allait bien. Il y a juste une fois ou Maman s’est posé des questions.
À la fin des vacances de Noël en terminale je venais d’aller me peser pendant que toute la famille regardait un film de Noel du style Maman j’ai raté l’avion. Je suis descendue de la salle de bain, les yeux rouges, encore imbibés de larmes. Maman m’a demandé ce que j’avais. Je ne voulais pas répondre mais comme toute ma famille insistait, j’ai dit que j’avais pris un kilo pendant les vacances. Maman m’a regardée bouche bée, en totale incompréhension, Papa a tiqué mais n’a rien dit (avait il compris ?) et mes frères et sœurs m’ont dit « oh ça va c’est juste 1kg, c’est les vacances de Noël ! « .
Comment t’en es-tu sortie ?
J’ai eu un premier électrochoc aux JMJ de Madrid, l’été de la terminale. Ça faisait 2 ans que j’avais arrêté d’aller communier.
Le corps est le temple de l’Esprit … Justement, jeme disais que si j’étais incapable de m’aimer telle que le Bon Dieu m’avait faite et de l’honorer dans ce corps fait à Son image, je n’étais pas digne de Le recevoir. Je n’ai jamais autant mesuré la portée de cette phrase « Seigneur je ne suis pas digne de Vous recevoir mais dites seulement une parole et je serai guérie ».
Je ne me suis pas confessée non plus pendant deux ans, parce que je me disais que si je me confessais je devais me confesser de tous mes pêchés, dont celui de ne pas être capable de m’aimer correctement. Je suis très entière, quand je me confesse je dis tout. Je ne garde pas un pêché en stock en me disant que je ne suis pas prête à le dire.
Je suis donc partie aux JMJ à Madrid, et j’ai vécu une Adoration extraordinaire. J’ai commencé à prier en demandant au Seigneur de me donner la force d’avancer. Ce soir-là pour la première fois je Lui ai demandé de me prendre en charge, de me faire réaliser à quel point je faisais n’importe quoi depuis 3 ans et demi. Je Lui ai demandé de l’aide pour la première fois : la guérison était en route ! J’étais prête à aller me confesser.
Je suis allée voir le premier prêtre que j’ai trouvé. Il avait un accent américain à couper au couteau, et je lui ai parlé de l’anorexie. Ca a duré une demi-heure. Je ne comprenais pas tout ce qu’il disait mais le peu que j’ai compris était exactement ce que j’avais besoin d’entendre. Je suis ressortie en larmes, je suis retournée prier au pied de l’Autel, auprès du Bon Dieu présent dans son Saint Sacrement, en me disant que la vie, la vraie, avec Lui, reprenait son cours. Je regardais le Saint Sacrement, et pour la première et seule fois de ma vie je me suis dit qu’il y avait vraiment quelqu’un là devant moi. A coté de moi. Je n’en ai jamais parlé à personne, même pas à mon mari je crois. J’étais bien et je savais que je pouvais m’abandonner en toute confiance. J’avais à la fois l’impression d’être dans les bras de quelqu’un et à la fois d’être allongée sur un matelas pneumatique dans la mer avec personne autour et aucun bruit. C’était hyper beau. C’était doux, chaleureux. Je vivais la scène représentée sur le tableau du Retour du Fils Prodigue de Rembrandt, en mieux. Le Bon Dieu était devant moi, j’étais à ses pieds et il m’accueillait dans ses bras de Père. Je me suis sentie physiquement soutenue, comme si j’étais vraiment dans ses divins bras.
Je me alors suis dit que le Big Boss était vraiment là, qu’il ne m’avait jamais abandonnée, qu’il avait simplement attendu patiemment que je l’appelle à l’aide.
Ça y est, il allait m’aider et j’allais me remettre à prier tous les jours.
Je me suis remise à manger correctement, j’ai pris 10 kilos en deux semaines ! Très violent, mais nécessaire. J’ai été un peu malade parce que je me suis remise à manger plein de choses grasses dont je n’avais plus l’habitude, mais sur le coup, j’étais trop contente. Grande victoire !
Puis je suis arrivée à la fac dans une nouvelle ville chez mes grands-parents, il y avait une balance dans la salle de bain que ma grand-mère a fini par cacher.
J’ai commencé une nouvelle vie, en mettant ma copine Ana (c’est comme ça que je l’appelle) de côté.
Je me suis dit que si je voulais être épanouie il fallait que je prenne un engagement. Je suis devenue Akela d’une meute et je m’y suis mise à fond. Et à travers mes louveteaux, leur sourire, leur joie, je me suis rendu compte que j’avais de l’importance, que j’étais capable de faire des bonnes choses, d’élever et d’être élevée. Ca a changé mon regard sur la vie.
Puis mon père m’a dit que j’avais des talents et que je devais les faire fructifier. Il m’a dit de m’investir à fond dans le chant. J’ai fini par me réinscrire à la chorale et par animer des messes.
C’est cette année-là qui a été le tournant de la fin de cette période d’anorexie, que j’ai réalisé qu’on a chacun des choses à faire pour laisser des traces positives sur les autres, pour que nos vies ne soient pas juste un passage. J’ai décidé de me construire « toute seule », sans ma bonne copine Ana et ça me faisait du bien. J’ai arrêté de me comparer aux autres.
En fait le scoutisme et le chant m’ont aidée à m’en sortir et à me construire une identité propre. J’ai gagné cette confiance en moi que je n’avais jamais eue. Je n’étais pourtant pas vraiment guérie.
Puis le deuxième électrochoc a eu lieu pendant ma première année de fac : je vivais chez ma grand-mère et elle s’est rendu compte que la maladie n’était pas complètement derrière moi. Je sautais des repas, je surveillais le gras dans mon assiette, je goûtais comme 4 donc je n’avais pas déjeuné, je buvais des litres d’eau (3L minimum par jour pour me couper la faim).
On ne s’en sort pas comme ça, en un claquement doigts, dans son coin, sans l’aide des autres.
Je ne suis pas sa fille donc elle avait peut-être plus de recul. Elle a pris mes parents entre quatre yeux pour leur dire que je n’allais pas bien, que j’étais anorexique. Maman a dit « mais non pas du tout, on est juste tout fins dans la famille » mais papa, lui, a entendu et a décidé de faire quelque chose.
Et pour la première fois il est venu m’en parler, m’a demandé comment j’allais, m’a dit qu’il était inquiet de ma maigreur. Il a n’a pas eu peur d’utiliser les mots qui fâchent.
Je lui ai expliqué que j’avais des petites rechutes passagères mais que ça allait mieux. Effectivement il y avait eu une période où j’étais très maigre, où je faisais attention à tout ce que je mangeais, qu’ils ne s’en étaient pas rendu compte avec maman, et que ça m’avait fait du mal. J’ai pu lui dire tout ça. C’est la seule discussion que j’ai eu avec un de mes parents à ce propos à cette époque là.
Il m’’a dit « Gabrielle, tu es vraiment jolie, tu n’as pas besoin de ça et si tu veux avoir des enfants il faut que tu reprennes du poids » : ça m’a fait réagir.
Effectivement à 18 ans je n’avais pas mes règles. Je me suis demandé si j’étais stérile et ça m’a bouleversée, il fallait que je fasse quelque chose.
©Mahaut Radenac @mahaut_photographies
Quel regard tu portes aujourd’hui sur ton évolution ?
Je pense que l’on n’est jamais complètement guéri de cette saloperie. On doit apprendre à vivre avec et à la dompter. Aujourd’hui je surveille mon poids toutes les semaines mais ce n’est pas pour perdre : c’est pour être sûre que je ne descende pas en dessous d’un certain plancher.
C’est une maladie mentale qui peut nous rattraper en cas de coup de mou, comme la dépression. Il faut être attentif à ce que l’on ressent et on doit pouvoir compter sur notre entourage aussi. Par exemple les mois de post-partum ont été des mois de remise en question énormes. Pendant les trois premiers mois tout s’est très bien passé, j’étais hyper entourée, j’allaitais, ça a révélé des trucs géniaux dans notre couple.
Au bout de trois mois l’effervescence de la naissance est retombée. Ca faisait trois mois que je faisais comme si j’étais super en forme alors que j’étais épuisée, et à force de toujours vouloir être au top il y a un moment ou le fragile château de cartes s’effondre. J’ai perdu énormément de poids. Au début je me suis dit que c’était normal, que le corps reprenait ses droits. Et puis de très bons amis et mon mari ont fini par me dire que j’étais trop maigre : je suis allée me peser et – grosse surprise – j’étais redescendue à un poids inférieur à celui de début de grossesse. J’étais en train de retomber dedans : je me sentais un peu seule parce que mes copines jeunes mamans dans mon genre étaient loin et rares. J’avais besoin de reconnaissance, c’était une espèce de petite déprime post-natale. Alors je sais que je suis fragile et à chaque moment difficile dans ma vie il faudra que je fasse attention à ne pas retomber dedans. Mon mari y sera toujours attentif. il s’est d’ailleurs mis à cuisiner pour moi pour être sûr que je mange bien !
Je n’ai pas envie de revivre cette période et en même temps je ne suis pas malheureuse d’être passée par là : ça m’a forcée à me poser des questions et à me rendre compte de certaines choses qui étaient très importantes pour moi en tant que femme. Ça m’a à la fois fragilisée et rendue invincible. Et rendue follement reconnaissante et aimante envers le Bon Dieu.
De quels genre de choses parles-tu ?
A 18 ans je n’avais toujours pas mes règles. Je suis allée voir le gynéco en lui disant « j’ai peur, est-ce-que je vais pouvoir avoir des enfants ? ». Je voulais avoir des enfants, je voulais savoir si c’était possible… La gynéco s’est bien rendu compte qu’il y avait eu un problème… C’est elle qui a prononcé le mot anorexie en premier. Personne ne l’avait jamais prononcé devant moi, en 5 ans.
Il y avait de grandes chances que j’ai déjà eu un cycle qui aurait été bloqué, fragilisé, une ovulation inefficace.
Elle m’a proposé de prendre la pilule pour creer des cycles et « réinitialiser » mes ovaires. J’ai refusé. Parce que je n’avais aucune intention d’utiliser ce type de lien de contraception, j’avais d’autres préoccupations. Bref, pas la pilule, les cours de SVT au lycée m’avaient traumatisée.
Elle m’a donc donné un médicament qui déclenche les règles à prendre pendant 6 mois, et ça a marché.
J’étais hyper émue la première fois que j’ai eu mes règles ! C’était un cadeau du Bon Dieu. C’était ma récompense pour avoir repris du poids.
Je savais que ma fécondité avait pu être abîmée et que ça pourrait rendre la conception difficile plus tard, avec mon mari.
Est-ce que tu as été suivie ?
Je n’ai pas eu de suivi, ni purement médical, ni psychologique. Même si avec du recul je pense que ça m’aurait fait du bien. J’en ai beaucoup parlé avec mon père spi et ma grand-mère. Sur le coup ça m’a suffi.
Mais je me suis posé la question quand je commençais à retomber dedans, je me suis dit que je pourrais peut-être apprendre à détecter les moments où je suis vulnérable, savoir que faire quand on sent que ça revient.
Je vais prendre rendez-vous avec un psy pour être sûre que tout est clair, je n’ai plus envie de retomber dedans. J’ai envie de faire un point vis à vis de moi, de mon mari et de mon fils et de nos autres futurs enfants. C’est nécessaire pour déceler des faiblesses et réagir au mieux. Et je le dois à ma famille, à mon mari, à mes enfants. Il en va de ma responsabilité.
Comment as-tu ressenti le regard des autres ?
Pendant ma grosse période d’anorexie j’avais tellement l’impression d’être invisible à côté de toutes ces filles hyper sympas et jolies du lycée que je n’ai jamais mesuré les regards des gens sur moi. Il y avait sûrement de la pitié, de la compassion, de la gêne … C’est après, quand j’ai montré des photos de cette période-là à des amis que j’ai réalisé qu’il y avait sûrement eu beaucoup de regards et d’incompréhensions.
Et finalement je suis contente de ne pas les avoir ressentis parce qu’ils auraient pu me faire beaucoup de mal. Je pense que c’était un instinct de protection, je niais beaucoup de choses, des autres, de moi, de la maladie.
Qu’est ce qui t’a aidée ?
Le chant et la prière.
Chanter, s’abandonner, apprendre des chants sacrés composés par les plus grands au service de la gloire de Dieu. Se laisser porter par la chorale, faire des envolées lyriques comme soliste, accompagnée par les chants des plus jeunes. Là je me sentais bien.
J’oubliais tout.
Le scoutisme, le sens du service, l’abnégation.
Ma famille aussi : même s’ils ne se sont pas forcément rendu compte de ce que je vivais, tous les soirs j’étais dans un cadre chaleureux. Les parents étaient toujours là, tous les soirs. Il y avait le feu, le chat, je travaillais dans la cuisine, j’étais au milieu de l’effervescence de la maison et je me sentais bien. Quand j’avais besoin d’aide et qu’elle avait le temps, Maman m’aidait en Français, en Littérature et en Grec. Dès que j’avais des questions en Maths, en Histoire, en Philo, Papa était toujours là pour m’aider. Et il était patient papa. J’en ai sans doute un peu abusé. Je pense qu’il s’est rendu compte que j’avais besoin d’attention. Ce sont ces moments de qualité qui m’ont fait développer une relation de tendresse et de complicité avec Papa, je me sentais importante à ses yeux. Et quand ça n’allait pas j’allais voir mes petites sœurs qui étaient toutes jeunes et très innocentes, je jouais à cache-cache avec elles, on parlait de tout et de rien et ça me faisait du bien.
Qu’est-ce que tu as appris de cette épreuve ?
A ne plus me renfermer sur moi-même, à m’appuyer sur les autres quand ça ne va pas, à avoir confiance autant dans mes propres choix que dans ceux des autres, et ne pas passer ma vie à me poser des questions ou à me comparer aux autres. J’ai appris à dire ce que je ressens, ce qui me blesse et ce qui me fait plaisir.
Ca m’arrive encore, bien sûr, de me refermer comme une huître et de ne rien laisser paraître. Mais heureusement, je ne suis pas seule et il y en a un qui me voit vivre et qui a ses techniques secrètes infaillibles pour me délier la langue.
Et la leçon que je garde de cet épisode c’est l’importance de créer cette atmosphère chaleureuse, attentive et attentionnée de la famille, de la maison pour mes enfants. Cette atmosphère que mes parents ont créée et qui m’a finalement maintenue gaie et joyeuse malgré tout ce que je m’imposais malgré moi.
Je veux que mes enfants se sentent encouragés à me poser des questions existentielles sur tous les sujets, qu’ils n’aient jamais l’impression de déranger.
Qu’est-ce que tu dirais à une jeune fille qui souffre d’anorexie ?
Je lui dirais de ne surtout pas se couper des autres, de garder des vrais liens privilégiés avec 4-5 personnes et de ne pas hésiter à se confier, parce qu’on ne peut pas s’en sortir tout seul. Je sais que c’est dur à entendre quand on s’est déjà coupé de tout le monde et qu’on ne sait plus trop à quoi s’accrocher, mais c’est très important. Ne reste pas seule, tu es en danger.
Je lui dirais « Tu es précieuse, tu es belle, et si tu es là aujourd’hui c’est que le Bon Dieu veut que tu sois là : il t’aime, tu es unique, il a un projet pour toi et personne ne peut te remplacer ni t’effacer. »
Merci pour ce récit de cette période de ta vie qui a l’air de t’avoir transformée. Maintenant parlons de ta vie de femme et de mère, de comment tu es devenue une femme après cette épreuve.
Est-ce que tu peux me raconter votre histoire avec ton mari, son regard sur l’anorexie ?
Je choisis de rester vague pour mon mari, pour nous, pour préserver notre histoire et notre intimité.
C’est le scoutisme qui nous a permis de nous rencontrer. Et on a eu un véritable coup de foudre amical.
Il a un regard assez détaché sur l’anorexie et il est très lucide au sujet de mon comportement. Il m’écoute, il me fait parler, il m’engueule quand il faut, il me rappelle l’essentiel. Il m’aime quoi.
Est-ce que tu t’es demandé dès votre rencontre si c’était un homme que tu pourrais épouser ?
Très rapidement, on a eu des discussions déconcertantes vraiment profondes et je me suis dit « ce mec là ‘faut pas que je le lâche, il a des convictions tellement solides que plus tard ce sera un Chrétien ancré dans la Cité exceptionnel, un homme de parole et un très bon papa, sa femme sera heureuse. »
Il me donnait énormément d’espérance. Il m’a fait voir que les jeunes hommes droits dans leurs bottes, avec des convictions chevillées au corps, ça existait pour de vrai et pas uniquement dans les Signe de Piste !
Je me suis demandé pourquoi il me troublait, ce qui me plaisait chez lui :est-ce que c’était juste un sentiment, est ce que c’était juste flatteur de plaire ou est-ce que je le voyais vraiment comme mon futur mari …
C’était à l’époque de La Manif pour Tous, on refaisait le monde, on parlait d’éthique, de ce qu’était pour nous le mariage alors qu’on ne se posait même pas encore la question de se marier tous les deux.
Puis un jour je suis venue à Paris, sans prévenir il m’a dit qu’il m’aimait. Et il s’est empressé d’ajouter :
« Gabrielle, si je te dis mes sentiments ce soir c’est pas juste pour rigoler, c’est pas parce que c’est agréable, c’est parce que je veux me marier avec toi et je veux que ce soit pour toute la vie »
Et à partir de ce moment-là je me suis ouverte à lui comme à personne. Je lui ai confié que j’avais été anorexique. J’ai voulu être honnête tout de suite et j’ai décidé de lui expliquer qu’il y avait des chances que je ne puisse pas avoir d’enfants. Il m’a dit que ce n’était pas grave, qu’il serait le plus heureux du monde si c’était possible, mais que si ce n’était pas le cas nous serions féconds autrement.
Avec lui je sentais que j’étais belle, que je plaisais à quelqu’un, mais surtout : il aimait ce que j’avais dans mon cœur.. Je ne pouvais plus jouer un rôle, j’allais être honnête avec lui jusqu’à la fin de ma vie. J’allais m’abandonner et faire confiance.
Comment as-tu appris à vivre ta féminité ?
Mon mari m’a permis d’apprendre à vivre ma féminité. Il me voyait maman un jour. Et surtout il me voyait comme une femme. Ma féminité s’est renforcée de manière exponentielle avec le mariage bien sûr. J’ai fait le début de mon chemin de femme avant de rencontrer mon mari mais aussi en grande partie avec lui…
Puis il y a eu la grossesse, à la fois facile et belle parce que je me suis accomplie en tant que femme, épouse, maman : j’étais à ma place.
Comment tu as vécu tes premiers mois de maman, et le bouleversement de la maternité ?
La journée de l’accouchement était très fun. Vraiment, j’en ai un excellent souvenir ! J’ai été déclenchée, je gérais bien mes contractions donc je ne me rendais pas vraiment compte que ça allait arriver, jusqu’au moment j’ai senti que le bébé arrivait vraiment, que c’était une question de minutes, que mon corps me dictait ce que je devais faire. il a fallu pousser : j’ai réalisé a ce moment là, vraiment, que nous allions être trois.
Mon bébé est arrivé en 15 minutes. Après un moment de silence et de « …. ÇA Y EST ! », je me suis dit « wouah, c’est vraiment notre bébé »… c’est nous ! C’est notre fils !
J’ai eu un élan d’amour immense pour lui, tout de suite, il ressemblait tellement à son papa ! Il aurait été moche, gros vert, avec de grandes oreilles à la Schreck, je l’aurais aimé tout aussi fort. Il était tout mauve, tout poilu, tout fripé, mais je l’aimais de tout mon cœur, même s’il avait un petit air de Gollum, en brun, et avec beaucoup de cheveux.
J’étais complètement déboussolée et en même temps je savais exactement ce que je devais faire. J’ai passé la première nuit avec ce tout petit, il a eu sa première poussée de croissance tout de suite, il avait besoin d’être au sein et je n’ai pas pu dormir de la nuit. Je trouvais ça tellement magnifique, exceptionnel. J’ai passé mon temps à le regarder. 48h sans dormir. Ça valait le coup.
Je me suis sentie totalement perdue quand on est rentré de la maternité. Pendant que mon mari faisait un saut à la pharmacie, je suis restée 45 minutes toute seule avec mon bébé qui dormait, c’était silencieux, et j’ai fondu en larmes en me disant que je n’avais plus le choix et qu’il allait falloir que j’assure. J’ÉTAIS MAMAN ! J’avais des sentiments tellement contradictoires, je trouvais ça tellement merveilleux et en même temps c’était si effrayant, je me disais qu’il était si petit, si fragile…
L’allaitement a été difficile à mettre en place. Je souffrais le martyr à chaque fois que je devais allaiter, j’avais des crevasses et terribles qu’il m’arrachait à chaque fois qu’il tétait. Je redoutais chaque moment où il aurait faim mais quand c’était le cas, je ne me posais même pas la question, je le nourrissais en souffrant, en serrant les dents, en silence. J’ai mesuré la puissance de l’amour maternel, rien ne peut aller à son encontre. Il n’y a rien de plus puissant sur Terre.

©Mahaut Radenac @mahaut_photographies
En quoi la maternité t’a-t-elle transformée ?
J’ai appris à vivre avec un bébé, et à recréer une intimité de couple. On n’était plus 2, on était 3.Les trois premiers mois ont été essentiels pour la construction de notre famille et de notre couple. C’est mon mari qui m’a aidée à m’apprivoiser dans mon rôle de maman, dans mon corps meurtri, il me disait encore et toujours que j’étais belle, que les cicatrices que j’avais étaient les cicatrices de la vie.
Étant plutôt maniaque du contrôle – vous l’aurez compris – j’appris à me relâcher sur les choses qui ne sont pas essentielles, à prendre de rares mais précieux moments seule, pour moi, hors du quotidien. Je me suis rendu compte de l’importance de se retrouver seule, on n’est pas juste épouse et mère, on est aussi femme.
C’est là que je me suis remise à faire de la photo. Il me fallait une occupation, quelque chose qui m’enrichit, me fait du bien. J’ai appris à me poser des questions sur moi, sur ce que j’aime et ce qui est important dans ma vie. J’ai appris à me réjouir des petites choses de la vie.
Merci Gabrielle de nous avoir confié tout cela. Maintenant j’aimerais conclure comme d’habitude avec mes trois petites questions sur la féminité !
Pour toi quelle est l’essence de la féminité ?
C’est la générosité. La femme est généreuse par nature. C’est la fille qui fait confiance, c’est l’épouse qui pardonne, c’est la femme qui donne la vie et c’est la mère qui aime inconditionnellement. Confiance, pardon, amour.
Qu’entends-tu par « l’épouse qui pardonne » ?
Je trouve que les hommes ont plus d’occasion de trébucher que les femmes, ils sont moins forts. Ce qui fait la beauté de la femme dans le couple, c’est sa capacité à pardonner ; Souvent les hommes sont moins attentifs aux erreurs que font leurs femmes, et la femme de son côté est bien plus exigeante : elle a donc finalement plus de raison de devoir pardonner à son mari.
Je parle des petites choses du quotidien, pas des fautes très graves !
Pour toi quel est le rôle de la femme dans la société ?
Son rôle c’est de valoriser ce qui est beau et bon, chez chacun et dans chaque chose. C’est une forme de générosité. Maman m’a toujours dit que la famille est une première façon de vivre la vie en société.
Et dans la famille, la femme est la garante de la transmission de la foi, de la bonté et de la beauté du Seigneur.
Être une maman universelle, comme la Sainte Vierge qui est la plus belle féministe de tous les temps. Elle n’a pas ce côté vindicatif. Elle a juste été une femme rayonnante, confiante, aimante, généreuse. C’est la femme la plus généreuse du monde ! Elle est hyper inspirante au quotidien.
Que dirais-tu à la jeune fille de 15 ans que tu étais?
Je lui dirais « ora et labora » ce qui signifie « prie et travaille ».
A 15 ans je ne priais plus beaucoup et je m’étais coupée de tout le monde. J’étais seule, loin du Bon Dieu. Mais je l’aimais toujours.
Quand tu pries tu es proche de Dieu et quand tu es proche de Dieu tu es proche des autres, parce que Dieu est en chacun d’entre nous.
Je lui dirais de prier pour voir le bon en soi et en les autres.
Et de travailler parce qu’à 15 ans c’est hyper important de se construire dans ses études, d’apprendre à travailler tout seul.

Le retour du fils prodigue. Rembrandt Van Rijn – huile sur toile – 262 x 206 cm – 1669 – (The State Hermitage Museum (Russia))
Merci Gabrielle pour ce témoignage poignant, sincère et magnifique. J’espère qu’il pourra aider d’autres jeunes filles à avancer, parce que c’est ça finalement la force du témoignage !