Bonsoir à tous !
Oh, comme je suis heureuse de vous publier une nouvelle Etinc’elle ! Cela faisait tellement longtemps ! Ce soir, je vous propose de découvrir le témoignage de Florence, maman de 5 enfants et notamment de Louis, porteur de handicap. Je vous laisse découvrir son histoire.
Bonjour Florence ! Pour commencer, peux-tu te présenter ?
Je suis Florence, j’ai 36 ans, je suis mariée depuis 12 ans avec Benjamin. Nous avons 5 enfants, je suis mère au foyer depuis quelques années et nous habitons aux Pays-Bas. Je me définirais comme une femme joyeuse et volontaire, qui cherche toujours à avancer, se remettre en question, donner le meilleur de soi-même.
De qui est composée ta famille?
J’ai 5 enfants qui ont entre 10 et 2 ans, 4 garçons et une fille. Celui dont j’ai envie de parler c’est Louis, notre petit 4ème qui est arrivé le 8 mai 2015 et qui est un petit garçon porteur de handicap.
Je sens que c’est important d’en parler parce que ces enfants là, aujourd’hui ils font peur. Aujourd’hui 95% des enfants porteurs de trisomie sont avortés, et sans porter aucun jugement sur ces femmes et ces situations, cela m’interpelle et ça me fait un peu peur pour l’avenir. Je me dis que si je ne suis pas capable aujourd’hui de dire à quel point cet enfant est digne d’être humain, si je ne montre pas qu’il a de l’importance, dans les années à venir je ne sais pas s’il aura toujours sa place sur terre, s’il aura toujours la possibilité d’exister.
Parler de Louis, c‘est dire que oui, c’est possible. Au delà de se demander s’il est heureux, il faut se demander s’il est aimé. Moi je vais tout faire pour l’aimer du mieux possible.
Peux-tu me raconter dans les faits l’arrivée de Louis et la découverte de son handicap ?
Tout a commencé lors d’une échographie où Louis n’a quasiment pas bougé. Je suis allée faire un contrôle à l’hôpital, et il s‘est avéré que Louis avait un retard de croissance. J’ai été hospitalisée pendant 1 mois et demi, puis j’ai accouché d’un bébé d’1,8kg, et dès les premières minutes je me suis dit qu’il n’était pas comme les autres, en partie en raison des caractéristiques physiques. Après un mois de néonat nous sommes rentrés à la maison, l’été et les vacances sont arrivés et j’ai commencé à faire une liste avec tous les handicaps que j’étais prête à accepter. Je notais qu’il ne pleurait pas, qu’il avait mis longtemps à sourire, qu’il ne tenait pas sa tête. En septembre, il a commencé à être malade, les hospitalisations s’enchaînaient. J’avais le sentiment que les médecins passaient à côté de quelque chose. On nous alors proposé une prise de sang génétique. Et à 9 mois on a appris qu’il avait un problème sur l’un de ses chromosomes… Sa vie est marquée pour être différente.
On a reçu les paroles de médecins avec une grande sérénité. Quelque part je me suis sentie soulagée de me dire que je ne m’étais pas trompée. Il est alors passé du statut d’enfant malade au statut d’enfant porteur de handicap. Aujourd’hui nous faisons attention à la manière dont nous parlons du handicap de Louis. On explique qu’il a plusieurs handicaps : il a un retard cognitif, un retard de croissance car aujourd’hui à 4 ans il ressemble à un petit garçon d’à peine 2 ans, il ne parle pas, il a marché vers 4 ans… On parle très peu des détails de ce problème chromosomique : il est d’abord Louis, il est d’abord le frère, le fils, il est d’abord lui. On ne veut pas le faire entrer dans une case, pour lui laisser la possibilité d’être lui au delà du handicap.
Louis est un enfant qu’il faut rencontrer. Je suis très admirative de Jean Vanier qui, toute sa vie, a poussé les gens à aller à la rencontre des personnes handicapées. Quand je regarde Louis, souvent je me rends compte qu’il est dans l’attente que quelqu’un vienne le rencontrer. Il est au milieu de plein d’enfants qui ne jouent pas avec lui parce qu’il ne parle pas, et il attend la personne qui va le prendre par la main et lui dire “viens on va jouer au ballon”. Et à ce moment là il va donner le meilleur de lui-même. C’est tellement émouvant, j’admire tellement sa patience.
Quelle vision aviez-vous du handicap avec ton mari, et en quoi l’arrivée de Louis l’a-t-elle bouleversée ?
Mon mari et moi connaissons le handicap de par nos familles respectives mais je ne pense pas que ça ait rendu les choses plus faciles pour nous. Je pense surtout qu’on avait envie d’aimer cet enfant.
J’ai écrit un texte cet été qui s’appelle L’enfant de l’Amour, et qui pose cette question : pourquoi aime-t-on cet enfant ? Tout simplement parce mon mari et moi on s’aime. On avait très envie que cet enfant arrive, même s’il faut être honnête et pouvoir dire que ce n’est pas l’enfant qu’on attendait. On attendait un enfant en parfaite santé. C’est un petit enfant tordu par la vie, qui nous pousse à donner le meilleur de nous-mêmes.
Certains m’ont dit “tu ne dois pas parler de ta joie, parce que tu vas blesser d’autres parents qui ont un enfant porteur de handicap et qui le vivent avec beaucoup de difficulté”. Mais j’ai envie de dire à ces parents, merci ! Parce que pour chaque geste d’amour qu’ils donnent à leur enfant, ils donnent la possibilité à Louis d’exister et d’avoir sa place dans le monde.
Peux-tu me parler un peu du livre Louis et Aimée ? Comment t’es venue l’idée?
Je cherchais un livre pour mes enfants, quelque chose de très doux pour parler de choses si dures. Je voulais donner la possibilité à mes enfants d’exprimer leurs sentiments, qu’ils soient positifs ou négatifs, et je ne trouvais pas. C’est pour ça que j’ai voulu écrire un livre sur le sujet.
J’ai découvert des choses chez Louis que je dois partager. Sa patience, sa douceur, sa tendresse. Il est comme un livre ouvert, et quand on lui ouvre nos bras il donne tout : ses rires, sa joie, sa douceur. Rien ne l’arrête. Il est capable de se jeter dans bras d’inconnus, dans la queue pour faire les courses ! Ca donne des situations cocaces, très belles.
Qu’est ce qui t’a donné la force d’avancer, quelles sont les choses qui t’ont aidée ?
J’explique souvent que ma foi catholique est l’essence de ma vie. C’est ce qui me pousse à avancer, à demander pardon, à devenir meilleure. Ma foi me permet de me sentir aimée, et c’est tellement plus facile d’aimer quand on se sent aimé.
Les gens me demandent comment j’ai fait pour vivre toutes ces années d’hospitalisation. Et je ne sais pas comment j’ai fait ! J’ai surement été très entourée. Avoir Louis dans notre famille nous a permis de découvrir la beauté de l’homme. Des gens nous ont aidés sans aucune condition, ils disaient oui tout le temps, sans jamais rien attendre en retour.
Quelles ont été les répercussions de l’arrivée de Louis sur vous couple ?
On dit deux choses concernant les épreuves et le couple: ça peut tout briser ou tout rassembler. Ce qui nous a rapprochés, ce n’est pas tant l’épreuve, mais c’est que j’ai vu mon mari aimer Louis comme jamais.
On a eu des moments très marquants, comme l’annonce du handicap. Je n’oublierai jamais la force de mon mari à ce moment là, sa sérénité. On a été portés par l’Esprit Saint. Quand Louis était tout petit et qu’il ne prenait pas de poids, il n’était pas très beau. Et mon mari le regardait en disant “qu’est ce qu’on l’a réussi celui-là”. Traverser ça en couple, c’est se dire merci et je t’aime. J’aime mon mari encore plus aujourd’hui parce qu’il aime Louis comme un papa. Après, cela ne change pas notre relation de couple, on n’est pas parfait, on devra toute notre vie nous demander pardon l‘un à l’autre, mais entre nous il y a cette force immense qui est venue de Louis.
Concernant la famille, en quoi cela a fait grandir tes autres enfants?
Je ne sais pas si ça les a fait grandir, en tout cas ils grandissent avec Louis. On dit à Georges qui est arrivé après Louis, même s’il est encore tout petit, qu’il a le droit d’avancer, de faire mieux que son frère, qu’il ne doit pas se freiner. J’ai peur de ça. Un de mes garçons est très vif, il a toujours très bien réussi à l’école. Un jour, je voyais qu’il ne donnait pas le meilleur de lui-même, alors je lui ai dit qu’il avait de la chance et qu’il fallait qu’il en profite, tandis que son frère lui a énormément de mal à comprendre les choses. Et la il a pleuré, il m’a dit “c’est pas juste qu’il soit comme ça”. Il a une immense compassion pour son frère, il se donne totalement à lui, il peut rester des heures à le faire jouer, il est là pour lui, pour l’aimer. Quelle émotion !
Nos enfants ont été marqués pendant cette hospitalisation, par exemple notre fille faisait beaucoup de crises de colère parce qu’elle avait besoin que l’on s’occupe plus d’elle. Pendant 6 mois notre deuxième fils n’a mangé qu’au petit dej et au goûter… On essaie d’être honnête de ne pas mentir sur l’avenir de Louis, pour leur faire faire certains deuils.
Ce qui me frappe c’est que tu me raconte les retards de Louis, je pense aux photos sur lesquelles il a un visage si rayonnant, on ne soupçonne pas qu’il a autant de difficultés à comprendre.
C‘est un petit garçon très profond. Il est vif pour plein de choses, il communique avec tout son corps mais il ne parle pas, ce qui est difficile avec les enfants de son âge. Il n’est pas capable de comprendre des règles de jeu par exemple. Mais il est présent, il est rieur, joyeux, il attend de pouvoir rire et jouer avec quelqu’un.
On est dans un monde de performance, de réussite, où il faut avoir des projets. Dans un monde de performance, est ce qu’on est capable d’accepter des petits enfants qui sont si loin de la performance, que l’on va devoir porter toute leur vie? Dans un monde idyllique, on pense que cet enfant va trouver un emploi dans un ESAT ou au Café Joyeux. Mais peut-être que non, peut-être qu’il ne sera jamais productif, que ça seule production ce sera de donner des câlins et qu’à l’âge adulte les gens ne seront plus capables de les accepter.
Tu pense que la société néerlandaise est plus ouverte au handicap que la société française?
Ce que j’aime aux Pays-Bas c’est que je ne dois pas prouver que mon enfant est handicapé pour recevoir des soins. En France j’ai le droit à une allocation parce qu’il est handicapé à 75% ! Aux Pays-Bas on ne parle pas de pourcentage. On a un peu peur de rentrer et de retrouver le système français.
Est ce que tu arrives à identifier ce que l’arrivée de Louis pu avoir comme impact sur ta féminité?
Je pense à la force. Nous les femmes sommes souvent considérées comme faibles, on parle du sexe faible… Le constat après ce que j’ai vécu avec Louis c’est que l’on est des femmes fortes. Et moi je suis forte parce que je n’ai jamais été toute seule : “ le seigneur est ma force et mon bouclier en lui mon coeur a foi”.
Je dirais aussi que ça m’a fait devenir une femme plus vraie. Ca m’a permis de totalement assumer mon côté féminin, le féminin qui pleure… la vérité sans masque. Je me sens terriblement femme grâce à Louis car je n’ai pas besoin de tous ces artifices pour être complètement moi-même.
Par rapport à ton mari, en quoi ta féminité t’a fait appréhender des choses différemment?
Par ma sensibilité. Et on dit souvent que les femmes fortes sont des femmes sensibles. j’ai toujours été forte dans les moments où j’étais obligée de l’être, toutes les fois où je l’ai vu souffrir.J’ai pleuré à l’intérieur pendant des mois. Je disais à mon mari “le jour où ça va sortir ça va être un torrent” et heureusement j’ai eu la chance de pouvoir pleurer, de lâcher. Et le meilleur moment c’était face à Jésus, face à l’adoration, parce que dans les moments de grande tristesse on n’attend qu’une seule chose c’est d’être aimé à nouveau.
D’un autre côté, mon mari a vu toutes les choses en pater familias, il fallait que les choses avancent, qu’il continue à travailler pour nourrir la famille. Il était pragmatique.
On ne vit pas du tout les choses de la même manière. Pour lui c‘est difficile d’accepter la petite taille de Louis, alors c’est que quelque chose que je vis assez bien. A l’inverse, j’ai beaucoup plus de mal à accepter le fait que Louis ne parle pas, ça me fait énormément de peine de voir qu’il n’arrive pas à s’exprimer. On se porte l’un l’autre, on se soutient.
Que dirais-tu à une jeune femme qui t’appelle pour te demander des conseils?
Mon rêve ce serait qu’un jour une maman m’appelle pour me dire “je suis enceinte d’un enfant handicapé et je ne sais pas quoi faire”. Je lui dirai de venir rencontrer Louis. Je lui dirais que c’est possible d’aimer un enfant un peu tordu par la vie. Plus on donne, plus il nous donne. Aimer c’est difficile, c’est quelque chose que l’on choisit, que l’on doit embrasser. Mais appelez-moi, dites moi que vous êtes au bord du gouffre, que vous avez peur comme jamais. Et je vous dirai, laissez la possibilité à cet enfant d’exister, ou confiez le à d‘autres. Il a totalement sa place parmi nous, même si il a une place très simple qui consiste à donner des câlins. Et s’il donne des câlins toute sa vie ce sera très beau. J’aimerais tellement me dire que grâce à la présence de Louis dans cette vie d’autres petits enfants handicapés ont la place d’exister. Ça m’est arrivé d’avoir une heure de téléphone avec une maman ayant un enfant porteur de handicap, et ça nous a fait tellement de bien. Je lui ai dit “ton enfant, il est tellement digne d’être aimé, même s’il bave, même s’il ne parle pas”.
Il n’y a pas de profil type pour être parent d‘un enfant porteur de handicap. Je pense que tout le monde en est terriblement capable, avec de l’aide bien sûr. Pour élever Louis, on a besoin de nos familles et amis, de leur regard bienveillant, de leur amour.
Pour toi quelle est l’essence de la féminité?
J’ai envie de dire quelque chose pas du tout moderne. Je dirais que c’est le complément de la masculinité. Je pense que l’on ne peut rien faire sans cette altérité. Je ne suis pas l’égale de l’homme, parce que je vais donner la vie.
Quel est le rôle de la femme dans la société ?
Je pense qu’elle a un rôle essentiel. Son rôle c’est d‘apporter sa douceur, sa bienveillance, sa générosité, une certaine pudeur aussi.
La féminité c’est aussi lié à l’avenir, on a un rôle essentiel de présence, d’éducation. A la femme on demande tout ; avoir un bon job, gagner sa vie, avoir des enfants, les éduquer, s’occuper de maison… Elle est sous tension, elle a beaucoup de choses à produire.
Je pense que dans chaque couple il faut trouver son équilibre. Dans l’esprit des gens, la femme libérée c’est la femme qui n’a plus de tâches ménagères. Mais faire les tâches ménagères, c’est aussi un langage d’amour ! Moi en faisant des tâches ménagères, j’aime ! Je nettoie, je lave le linge parce que j’aime, et quand mes enfants et mon mari vont rentrer, leur préparer un bon repas c’est leur montrer que je les aime ! Et vice versa : si je me remets à travailler et que mon mari rentre plus tôt et bien j’espère que mon mari préparera un bon petit plat lui aussi, parce qu’il m’aime. !
Que dirais-tu à la jeune fille de 15 ans que tu étais?
Tu as beaucoup de chance parce que tu es aimée. Tu vas avoir une belle vie parce que tu vas être aimée. Tout est lié à l’amour. On n’avance plus quand on n’est pas aimé. En tant qu’être humain on est voué à la relation, on ne peut pas être seul. Et je lui dirais “n’aie pas peur”.
Merci Florence ❤