La trisomie 21… Nous la connaissons tous de plus ou moins loin. Nous avons tous des idées reçues, qu’elles soient positives ou négatives, sur cette maladie génétique dont l’on parle beaucoup. Mais connaissons-nous vraiment les personnes porteuses de trisomie ? Interrogeons-nous suffisamment nos représentations de cette particularité génétique ? Nous avons besoin de mieux connaitre les personnes trisomiques. Nous avons besoin de mettre en valeur ce qu’elles apportent au monde, nous avons besoin de comprendre ce qu’il se joue dans une famille quand un petit bébé nait et chamboule tout avec ce petit chromosome supplémentaire. Parce que oui, ce que l’on entend souvent au sujet des personnes porteuses de trisomie, c’est qu’au delà de leurs difficultés, elles ont un petit quelque chose en plus…
Les témoignages sur le sujet sont donc précieux, et ce soir c’est donc Albane qui vient nous parler de Philomène, son incroyable petite sœur, née avec une trisomie 21 et qui chamboule son monde avec sa joie de vivre et son Amour qui rayonne !

Bonjour Albane ! Dans un premier temps, raconte moi qui tu es si tu veux bien.
J’ai 27 ans, je suis mariée depuis 3 ans et demi avec Jean-Rémi qui est paysagiste. Nous avons deux petites filles, Pauline 2,5 ans et Victoire 3 mois. Je travaille comme assistante de direction et nous habitons dans la région d’Angers depuis notre mariage ! J’ai 8 frères et sœurs, et ma dernière petite sœur, Philomène, est porteuse de trisomie 21.
Pourquoi cette envie de témoigner autour de ta petite sœur trisomique ?
La trisomie de ma petite sœur a été un bouleversement pour notre famille, et c’est un sujet qui me touche en tant que grande sœur et marraine. C’est notre rayon de soleil, c’est elle qui nous a unis. Je trouve important d’en parler, dans ce contexte particulier quand on entend parler de toutes ces lois bioéthiques. Entendre dire que ce sont des enfants malheureux, ça me rend triste, parce que ma sœur est une petite fille qui déborde de joie, alors je veux apporter un témoignage différent !
C’est effectivement très intéressant d’avoir un témoignage joyeux autour de la trisomie car aujourd’hui la société cherche si tragiquement à les éliminer… Et c’est sympa d’avoir un point de vue de grande sœur, c’est assez rare !
Alors est ce que tu peux me raconter chronologiquement comment s’est passée la naissance de ta sœur et la découverte de sa trisomie?
Philomène est née en novembre 2007. Quand on a appris que maman était enceinte, on ne s’y attendait pas, ça a été un choc ! C’était la neuvième de la famille, mon petit frère juste avant elle allait sur ses 4 ans… On n’a pas su qu’elle était handicapée avant sa naissance, nos parents n’ont pas voulu nous le dire. Pour nous protéger d’une part, mais aussi parce qu’ils n’étaient pas complètement sûrs. Ils ne voulaient pas faire d’amniocentèse.
Mais j’avais 14 ans et j’ai eu une intuition, ce n’était pas comme d’habitude. Je trouvais que maman avait l’air inquiète, par exemple à la prière du soir elle nous disait de beaucoup prier pour le bébé. Puis Philomène est née, je me souviens que quand on l’a vue pour la première fois à la maternité elle avait l’air d’un bébé normal, je me disais que ce ne devait pas être si grave la trisomie !

Tu avais des personnes trisomiques dans ton entourage?
Je connaissais le petit frère d’une amie, mais pour moi cela restait quelque chose d’assez lointain, et puis je me disais que ce n’était pas si grave. Je savais que c’était un handicap mais je ne me rendais pas compte de tout ce que cela entraîne. Quand on ne le vit pas, on voit les choses différemment. Ça a donc été un choc. Et en tant que marraine je me sentais encore plus investie d’une mission de soutien, de protection
Sa naissance a été à la fois un bouleversement et une joie. C’est difficile de la voir grandir différemment des autres mais c’est une petite fille pleine de vie, qui déborde d’énergie. Elle a de l’amour à revendre, de l’amour à donner. Elle a toujours le souci des autres, de notre bien-être, à nous demander comment ça va. Toutes les personnes qui viennent à la maison le disent, ma petite sœur a quelque chose en plus. Mon mari l’a tout de suite adorée. La première fois qu’il est venu à la maison elle s’est jetée dans ses bras, c’était l’amour fou tout de suite !
Ça ne m’étonne pas… Je ne connais pas la trisomie personnellement mais j’entends souvent que ce sont des personnes qui ont énormément d’amour à donner.
Oui, et ce sont des personnes qui ne voient pas le mal. Aujourd’hui, à 13 ans, elle commence à se rendre compte du bien et du mal. Mais, quand elle était petite, elle ne comprenait pas qu’on puisse se faire du mal entre nous, que l’on se parle mal entre frères et sœurs ou envers les parents, elle nous reprenait quand on était désagréable ! Elle nous disait “non tu ne parles pas comme ça à maman”.
Je suis reconnaissante d’avoir une petite sœur trisomique parce qu’elle apporte beaucoup d’amour à notre famille. Nous sommes vraiment unis autour d’elle, et c’est ELLE qui nous unis.

Quelles différences as-tu notées entre sa manière de grandir et celle de tes autres petits frères et sœurs ?
Je dirais qu’elle dormait beaucoup, tout le temps. Ce sont des enfants hypotoniques, ils sont souvent très mous et mettent beaucoup de temps à faire les choses. Elle mettait énormément de temps à boire son biberon, elle a fait ses nuits dès la naissance. Tout était dur, tout était lent. Elle a marché vers 2 ans et demi, a été propre plus tard que les autres… Au niveau du langage il y a une différence aussi. Elle a parlé tard et même encore aujourd’hui, à 13 ans, on ne comprend pas tout ce qu’elle dit.
En revanche c’est une petite fille très intelligente, qui percute vraiment très vite. Elle est déjà en 6eme, et elle retient énormément de choses. On ne voit pas vraiment de différence avec les autres enfants au niveau de son intelligence. Et puis, elle a envie d’apprendre, de progresser, c’est assez impressionnant.
D’accord. Et au niveau psychologique, affectif?
Comme je te le disais, elle ne voit pas le mal. Par exemple, quand elle faisait une bêtise, elle ne comprenait pas pourquoi on la grondait. Une fois maman l’a retrouvée en train de manger du beurre sous la table à la petite cuillère… Elle n’a pas compris pourquoi on la grondait, pour elle ce n’était rien de mal. Souvent elle part en crises de larmes, donc il faut absolument la gronder gentiment, en mettant les formes, en lui expliquant pourquoi ce n’est pas bien. Cet aspect là a été compliqué à gérer surtout pour mes parents, ils ont dû repenser leurs méthodes d’éducation. Ils nous ont appris à agir avec des pincettes, à lui expliquer gentiment, à être patients. Maintenant maman met vraiment les formes et l’éduque différemment de nous.
Philomène a aussi une relation très particulière avec ses neveux. Je me souviendrai toujours de sa réaction devant Pauline, ma fille, toute petite dans son berceau, quand elle est venue me voir à la maternité. Elle ne la quittait pas des yeux, en répétant “c’est ma nièce, c’est ma nièce!” Elle était tellement fière. Aujourd’hui elles ont une relation incroyable, une grande complicité, quand je les vois ensemble j’ai les larmes aux yeux. Je me dis qu’on lui a fait un superbe cadeau en la faisant devenir tante. Elle se sent investie d’une mission de la plus haute importance, on sent qu’elle est fière et que ça la grandit. C’est cette joie simple d’une petite fille handicapée qui reste enfant dans sa tête, qui met du baume au cœur. On sait qu’on pourra toujours compter sur elle, qu’elle sera toujours proche de ses frères et sœurs, et de ses neveux.

Comment cela se passe-t-il niveau scolarité ?
Elle a été scolarisée en maternelle dans une école publique avec une AVS, puis dans une école hors contrat, dans le cycle scolaire classique. Et cette année, pour la rentrée en 6ème, elle est partie en pension, chez les dominicaines; c’est elle qui a demandé à aller en pension comme nous tous ! Elle nous a tous vus partir et elle voulait vraiment faire comme nous. Maman était surprise et ça n’a pas été une décision évidente pour elle. Elle avait un peu peur de la laisser partir. Mais Philomène est ravie, et ça se passe super bien !
Quand elle est née tu étais en 3eme, selon toi qu’est ce que cela a changé dans ta vie d’adolescente?
Mon regard sur les personnes handicapées a vraiment changé. Je savais désormais ce que c’était de se sentir regardée de manière insistante. Je les comprenais, je comprenais leurs familles. Ce qui a changé aussi c’est ma façon d’être avec les plus petits : plus de patience, plus d’amour. Ma petite sœur restera toujours une enfant, elle ne raisonnera jamais comme une adulte et ça m’apprend à être plus patiente, plus compréhensive.
Quand elle est née, j’ai pris conscience de beaucoup de choses. Et ce qui m’a le plus choquée, c’était la réaction des autres. J’entendais dans ma classe des filles dire “arrête de faire ta triso”, et ça m’atteignait en plein cœur, j’avais envie de leur crier que ce qu’elles disaient était horrible. Et en même temps je n’osais pas parler de ma petite sœur trisomique, j’avais honte…

Tu penses que cette difficulté à l’accepter était surtout liée au regard des gens?
Oui. Je suis comme ça, j’ai beaucoup tendance à me soucier du regard des autres. Déjà quand on dit que l’on est 9 enfants les gens hallucinent et vous critiquent. Mais alors quand on rajoute que la dernière est trisomique, ils basculent carrément dans le jugement. Et ils vont jusqu’à nous demander pourquoi mes parents n’ont pas avorté…
Tu l’entends beaucoup cette question?
Oui, encore maintenant.. Et ça fait tellement mal ! Le jour de l’échographie, la première chose que le médecin a dit à maman c’est “vous voulez garder le bébé?”. C’est notre petite sœur, c’est notre famille, c’est juste horrible de dire une chose pareille. Je comprends que les gens soient étonnés, surpris, admiratifs… mais ce jugement, vraiment, c’est insupportable.
Est-ce qu’il y a d’autres réflexions que vous entendez souvent?
J’entends souvent “oh mes pauvres”. Certes c’est difficile, une petite croix à porter, mais ça reste une grande joie. Après je peux comprendre qu’on le dise quand on ne connaît pas cette maladie.
En tant que grande sœur et marraine, qu’est ce qui est difficile dans le fait d’avoir une petite sœur trisomique?
Je dirais que c’est le fait de savoir qu’elle ne pourra jamais se marier ou avoir d’enfants, ce n’est pas raisonnable malheureusement. Techniquement elle pourrait, mais elle ne peut pas assumer une famille. Une grossesse pour une femme trisomique, c’est un immense bouleversement, elle pourrait ne pas comprendre ce qui lui arrive.
Donc ce qui est difficile pour moi c’est d’accepter que ma filleule ne se mariera jamais et n’aura jamais d’enfants. C’est un crève-cœur de lui expliquer que ce ne sera pas possible, et en tant que marraine ça va être difficile de l’accompagner dans cette voie là. Elle s’épanouira dans autre chose ! Mais ça reste difficile à accepter.
Au niveau de la foi ce n’est pas compliqué, elle a une foi chevillée au corps. Elle nous impressionne parce que sa foi est inébranlable, elle nous répète tous les jours qu’elle aime Jésus ! Elle a vraiment une sensibilité et une spiritualité particulière, elle chante tout le temps à pleine voix pendant la messe, c’est trop mignon.
Qu’est ce que la trisomie de ta petite sœur a pu changer chez toi en ce qui concerne ta féminité? Est-ce-que cela a eu une influence sur tes grossesses?
Je pense que je mesure encore plus la chance de pouvoir porter la vie parce que je sais qu’elle n’aura jamais cette chance.
Quand je suis tombée enceinte on s’est tout de suite posé la question de ce que l’on ferait si le bébé avait une suspicion de trisomie, si on allait faire les examens. Et puis on s’est dit qu’on ne voulait pas savoir, dans tous les cas ça ne changerait rien, on garderait le bébé. On ne voulait pas se rajouter en plus le stress des examens. Et puis ça a été plus facile pour moi de me dire que j’allais garder ce bébé même s’il était trisomique, parce que je connais la maladie; je sais que l’on s’en sort et que c’est beaucoup de bonheur.

Pour toi quelle est l’essence de la féminité?
Etre femme c’est avoir une place particulière dans la société parce qu’on est porteuse de la vie. C’est faire preuve d’élégance, faire attention à la manière dont on parle, apporter de la simplicité, de la joie. On est le pilier du foyer. Le papa c’est la tête pensante, celui qui travaille, la tête, et puis la maman c‘est le cœur, l’amour, la joie.
Pour toi quel est le rôle de la femme dans la société ?
C’est être là pour son mari, rester SA femme malgré la fatigue. On est porteuse de l’avenir de la société, et on doit rayonner dans notre foyer, dans notre travail.
Qu’est ce que tu dirais à la jeune fille que tu étais à 15 ans ?
Je lui dirais de ne pas avoir peur du jugement des autres, de rester soi-même, de dire ce qu’elle pense. C’est quelque chose qui m’a poursuivie toute mon adolescence, j’avais peur de ce que les gens pouvaient penser.

Bonjour Albane, bonjour Philomene. Merci pour ce témoignage familiale, plein de douceur, de sensibilité, d’amour fraternel et tout en délicatesse.
Belle vie partagée, clin Dieu en ces temps perturbés mais source d’Espérance à temps et contre temps !
Joyeux et heureux Noël à toute la famille.
Veronique, cousine germaine de votre maman Christine.
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