Les Etinc’elles #18 : Amandine « Je crois fermement que la Justice de Dieu est plus grande que la justice des hommes »

Bonjour à tous,

Ce soir nous nous retrouvons pour découvrir le témoignage d’Amandine. Quand elle m’a contactée en me proposant de témoigner du sujet si délicat qu’est le viol, j’ai été en premier lieu extrêmement touchée et honorée de sa confiance. S’en est suivie l’appréhension de l’interview, car j’avais peur de ne pas savoir poser les bonnes questions, peur d’être maladroite dans mes réflexions. Mais c’était sans compter sur sa douceur, sa simplicité et sa pudeur, avec lesquelles elle m’a racontée son histoire. Le témoignage d’Amandine est extraordinaire de force, d’Espérance, de foi. Elle m’a profondément touchée par la manière dont elle m’a fait ce récit, et par le recul qu’elle a réussi à prendre. Nous pouvons tous en tirer une incroyable leçon de Pardon, de résilience et dAmour. Je ne vous en dis pas plus et vous laisse découvrir son histoire…

Bonjour Amandine, peux-tu commencer par me raconter qui tu es ?

J’ai 28 ans, je suis mariée depuis 1 an et demi. Je suis l’aînée d’une fratrie de trois enfants, avec un papa militaire et des parents séparés. J’ai vécu dans le Sud de la France et à l’étranger, à Tahiti et en Afrique. Et aujourd’hui je suis institutrice dans le hors contrat.  

Qu’est-ce-qui te pousse à raconter ton histoire ici, à témoigner sur le sujet sensible et intime du viol ? 

Le viol n’est pas un sujet facile. C’est délicat et peut mettre mal à l’aise. Mais il ne doit pas être  tabou. La parole se libère et beaucoup de personnes osent en parler surtout sur les réseaux sociaux. Il y a notamment plein de mouvements, comme “Balance ton porc” qui naissent et permettent de dénoncer ces actes… Mais ce ne sont pas des mouvements dans lesquels je me retrouve forcément. Je trouve cela important de raconter que l’on peut subir un tel acte et réussir à vivre. Vivre heureuse sans avoir besoin de crier sur tous les toits que l’on est victime. Ni détester tous les hommes. 

Peux-tu me raconter ton histoire, comment c’est arrivé ? 

Quand jétais adolescente j’habitais une petite ville, et comme beaucoup d’autres lycéennes je rentrais en bus avec mon groupe de copines. Je ne sais pas si c’est l’insouciance de mes 15 ans mais je n’ai jamais vraiment regardé autour de moi ce qu’il se passait, qui était là dans le bus. Je n’ai jamais eu peur. C’était des années où on ne disait pas forcément aux filles de se méfier, je pensais que ça arrivait surtout dans les grandes villes. Puis, on imagine souvent que cela n’arrive qu’aux autres… De mon groupe d’amies, j’étais toujours la dernière à descendre du bus. Ce jour-là, j’ai raté mon arrêt et je suis donc descendue à l’arrêt suivant pour faire marche arrière à pieds jusque chez moi. 

Je ne me suis jamais retournée, et il se trouve que je n’étais pas la seule à descendre… Il fallait que je traverse un petit terrain vague pour rentrer chez moi. Tout est allé très vite. Je n’ai pas eu le temps de me rendre compte de ce qui s’était passé. Un homme a surgi derrière moi, m’a attrapée et m’a agressée physiquement. J’ai été violée. 

Ma tête s’est envolée, j’ai eu l’impression de quitter mon corps le temps d’un instant. Comme si tout cela était trop soudain, trop difficile à comprendre, trop violent pour que mon cerveau l’intègre. Ma défense a été mon absence. 

Je suis rentrée très rapidement chez moi, sans comprendre ce qui était arrivé, sans pouvoir mettre des mots sur ce que je ressentais. Je me suis enfermée dans ma chambre. Mon papa était à la maison mais il n’a pas vu grand-chose, il s’est dit que c’était normal une ado de 15 ans qui claque les portes. Je me rappelle m’être assise sur mon lit et n’avoir eu aucune réaction. J’étais encore complètement tétanisée par la peur, je ne pouvais rien dire, rien faire. Je n’ai pas pu pleurer. Et  j’ai tout de suite mis ça dans une case en me disant “oublie, la vie continue et il ne faut jamais que l’on sache ce qui s’est passé”. Mais ce jour-là, en quelques minutes, j’avais perdu toute insouciance, toute joie et j’étais à jamais transformée. 

Comment analyses-tu cette réaction? 

Avec plus de 10 ans de recul maintenant, je dirais que c’est la conséquence d’un sentiment de honte, que j’ai ressenti dès le départ. J’ai compris ce qui s’était passé mais je n’ai pas voulu l’intégrer à ce que j’étais. J’étais dans le déni, en pensant que ce serait sûrement plus facile. Et puis il y avait ces questions : “qu’est ce que j’ai fait? Pourquoi moi ? Suis-je une mauvaise personne ? ”. Des questions qui tuent petit à petit, millimètre par millimètre, sans crier gare. Alors toujours dans la même optique, j’ai préféré les oublier : c’était de l’auto-défense.

Il y a eu un changement dans mon comportement, ça ne marchait plus à l’école, j’étais beaucoup plus renfermée sur moi. Je n’avais plus de plaisir à voir mes amies. Alors que j’étais une jeune fille bavarde, je ne racontais plus rien. J’essayais de m’habiller de manière à ce que l’on me voit le moins possible, j’ai décidé d’avoir une frange pour cacher mon visage et de me faire toute petite… Mais oublier est impossible ! Mon corps et mon comportement parlaient à la place de ma bouche. 

Comment tes parents ont-ils réagi face à ce changement de comportement ? 

Je suis assez proche de mes parents, surtout de mon papa. Je n’avais plus envie de faire des activités avec lui, je n‘avais plus envie de lui parler, je m’étais éloignée. Mais à 15 ans une fille qui s’éloigne de son papa… ça ne pose pas forcément question. C’est même plutôt normal.

Ils m’ont posé des questions, ils m’ont demandé si c’était à l’école… Je leur mentais, je disais que j’avais des soucis avec mes copines. Alors ils se sont dit que c’était l’adolescence et que ça allait passer! J’étais l’ainée, ils n’avaient pas forcément le recul nécessaire. 

Que se passait-il dans ta tête à ce moment-là? Est ce que tu y pensais beaucoup? Tu avais envie que quelqu’un remarque ton mal-être ? 

Je ne me sentais pas bien, ça c’est clair. Mais je n’arrivais pas forcément à expliquer pourquoi. J’avais plein de nouvelles peurs. Une part de moi se disait que je l’avais peut-être cherché. J’avais l’impression que tant que je ne comprenais pas moi-même pourquoi cela était arrivé, personne d’autre ne pouvait comprendre et que ça ne servait à rien d’en parler. Et puis on entend que les gens ne nous croiront pas, que la justice ne fait pas son travail, alors ça ôte l’envie de parler, et l’on enfouit le problème de plus en plus.

J’avais également très honte de moi. Mon corps, mon être tout entier me dégoûtait. Je n’arrivais pas à comprendre que ce n’était pas moi le problème mais bien lui. Je ne m’aimais plus et je n’imaginais pas que quelqu’un d’autre puisse m’aimer après tout cela. Pour moi, tout le monde me tournerait le dos. Alors je devais absolument garder le secret. 

Quand je pense à l’ado de 15 ans que j’étais, je me dis que si je croisais une fille comme ça aujourd’hui, je verrais à 200Km que quelque chose ne va pas. 

Comment tes parents l’ont-ils appris ? 

Au bout de 6 mois, j’ai laissé entendre dans une discussion avec une personne dont je suis proche que j’avais besoin d’aide et qu’il s’était passé quelque chose. J’avais l’habitude de parler de tout avec elle, et elle avait remarqué ce changement. Elle me posait des questions auxquelles je ne répondais pas, ou je l’envoyais sur des fausses pistes. Mais ce que je ne savais pas c’est qu’elle avait fait des études en psychologie sur ce sujet et qu’elle avait très bien compris. Donc elle a fini par appeler mes parents, sans me prévenir, pour leur dire qu’il se passait sûrement quelque chose de cet ordre-là. 

Comment s’est passée cette discussion avec tes parents? 

Après le coup de téléphone, ils m’ont appelée et m’ont expliqué leur discussion. Je me suis énervée, disant qu’elle racontait n’importe quoi… Alors ils m’ont demandé de leur expliquer, mon papa m’a regardée droit dans les yeux en me disant “sans nous mentir”

J’ai donc fini, au bout d’un long silence, par dire qu’elle avait raison mais que je ne voulais pas en parler avec eux. Cela a été suivi d’un grand silence. Lourd, pesant et tellement douloureux. Mais aucune larme n’a coulé. Ils accusaient le coup. 

Ça a été le début de la renaissance, j’ai un poids qui s’est enlevé. Très vite après ils m’ont expliqué qu’il fallait que je le raconte à quelqu’un d’autre et que je porte plainte. Je leur ai obéi, je me suis laissée porter. 

Le lendemain nous sommes donc allés déposer une main courante. Six mois après c’est très compliqué de donner des preuves, généralement ils récupèrent les vêtements que l’on porte mais là ce n’était plus possible. Ils ne pouvaient plus aller enquêter sur le lieu car il n’y avait plus de traces. Et surtout, c’était une personne que je ne connaissais pas. J’ai donné une description physique mais bien sûr je n’avais pas pensé à repérer un détail physique qui l’aurait distingué d’une autre personne.  La plainte a été prise mais forcément classée sans suite.

Beaucoup se seraient révoltés, mais moi ça ne m’a pas dérangée plus que ça. Je crois fermement que la justice de Dieu est bien plus grande que la justice des hommes. Je comprends que d’autres aient besoin qu’un juge les reconnaisse comme victimes, surtout quand l’agresseur est quelqu’un qu’elles connaissent, ce n’est pas comparable. Mais ce n’est pas mon cas. Dans mon malheur, j’ai eu la chance de ne pas connaître, de ne pas côtoyer mon agresseur. 

Est ce que tu as réussi à en parler avec des amis, à l’école ? 

Pas tout de suite. J’ai beaucoup écrit, ce que j’avais vécu, ce que je ressentais et caetera. Je l’ai dit à mes amies en leur confiant mon cahier, 96 pages noircies de mon histoire, en leur faisant promettre que cela ne changerait rien entre nous.

C’était plus facile pour toi de le faire par écrit? 

Oui. A l’écrit j’arrive plus facilement à trouver les mots justes. Je suis quelqu’un d’assez réservée, je ne montre jamais mes émotions négatives. Et puis écrire me permettait de ne pas voir leur réaction. Je ne voulais pas les voir pleurer, se mettre en colère ou grimacer…. Elles ne pouvaient pas me poser de questions, c’était une manière de me protéger. Elles ont été très peinées, très touchées, mais après un moment de flottement, de gêne, rien n’avait changé.

Aujourd’hui je n’en parle plus sauf parfois avec mon mari. Ce n’est pas tabou, mais je n’aime pas vraiment en parler. Parfois certaines discussions arrivent sur le sujet et généralement je me mets en retrait pour me protéger. Certaines personnes m’ont déjà blessée, sans savoir, par des réflexions stupides ou des allusions idiotes.

Beaucoup de personnes pensent qu’il faut remettre la peine de mort pour ces gens… Mais je ne suis pas d’accord. Nous ne sommes pas Dieu, on n’a pas à choisir qui doit vivre et qui doit mourir, même pour des crimes aussi importants. Prions pour ces personnes-là, elles sont malheureuses, ce sont leurs pulsions qui les mènent. C’est un acte inacceptable mais il faut les aider. 

Tu as toujours pensé de cette manière? Est ce que tu as toujours eu ce sentiment là vis à vis de ton agresseur? 

Je n’ai pas toujours pensé comme ça. J’ai eu le déclic lors d’une confession. 

Une fois que le déni était passé, il a fallu travailler sur la honte. Évidemment ce n’était pas ma faute, mais cette honte m’a poussée à me confesser de cet acte. Le prêtre m’a dit qu’il me donnait l’Absolution mais que clairement je n’en avais pas besoin.

Et lors de cette confession, il m’a dit de prier pour mon agresseur, et ça a été une révélation. Je me suis dit qu’il avait tellement raison ! Il ne faut pas lui souhaiter de mal. Il faut prier pour qu’il prenne conscience de ses actes, prier pour qu’il ait envie de se faire soigner, prier pour les personnes qui sont victimes de cet acte barbare. 

Je suis donc rentrée dans une démarche de pardon. Il ne me demandera jamais pardon, il ne se souvient peut-être pas de moi, mais je demande au bon Dieu de m’aider à lui pardonner cet acte. Je me suis dit que la haine, la colère ne servaient à rien mais que mes prières pouvaient apporter bien plus. Partout on cultive la colère, ce sentiment de révolte, le fait d’être toujours prête à prendre les armes, alors que c’est nous que cela tue, que cela blesse, que cela empêche d’avancer. 

Ce n’est pas facile, mais c’est un cheminement de paix qui s’est mis en place. Je suis aujourd’hui convaincue que la Foi m’a sauvée. Il n’y avait que Lui pour me sauver.

Comment as-tu réussi à te débarrasser de ce sentiment de honte, à  réaliser que ce n’était pas de ta faute? 

Je pense que c’est ce qui a été le plus compliqué : réussir à me dire que l’acte posé ne vient pas de moi et que je n’ai pas à porter cette culpabilité. Il m’a fallu beaucoup de temps. Je le comprenais pour les autres mais s’agissant de moi, j’avais du mal à intégrer que cet acte-là ne faisait pas de moi une mauvaise personne. 

Il a fallu que je change le regard que je portais sur moi. Je me suis longtemps demandé si je n’avais pas attiré ce mal. Cela a été très long à guérir, à réparer, à remettre dans l’ordre. Il m’a fallu une aide extérieure et professionnelle. Et je travaille toujours un peu dessus. Mon mari est très présent et m’aide beaucoup car il pose un regard très tendre, très doux sur moi. 

Quel impact cet évènement a-t-il eu sur ta construction de femme, sur ta relation avec ton mari ?

J’ai eu du mal à comprendre que c’est une grâce d’être une femme. J’ai mis beaucoup de temps à accepter ma féminité, je n’étais pas très coquette. Mais aujourd’hui je pense que je suis la femme que j’imaginais être à 15 ans, avec son bagage un peu lourd en plus. Je suis plus forte que ce que je pensais. J’ai une foi plus assumée aussi, plus militante. Je n’ai pas peur de dire haut et fort ce que je pense. Je pense que je suis une femme plus abandonnée à Dieu depuis cet évènement, je fais d’avantage confiance à la Providence. Je ne dramatise pas mon quotidien, je me dis qu’il y a toujours tellement plus grave dans la vie. J’ai eu des moments de doute, d’égarement mais je me rebranche toujours à l’essentiel. 

Concernant ma relation avec mon mari, j’ai longtemps pensé que j’étais appelée à la vocation religieuse. Je me disais que si je rentrais au couvent, à part le prêtre, je ne verrais pas d’homme. Et puis j’ai rencontré mon futur mari grâce à des amis en commun au lycée. On avait 18 ans et de discussions en soirées, on a commencé à se fréquenter. Et puis je me suis dit que pour cheminer ensemble il fallait qu’il sache, alors est venue cette fameuse discussion. Il est le seul à qui je l’ai dit de vive voix face à face. J’ai vécu toutes ses réactions en direct. Ça a été un moment très fort, très lourd, mais qui nous a soudés. Il m’a dit que cela ne changeait rien, et à partir de ce moment-là tout est allé plus vite, on s’est sentis invincibles. 

C’est impressionnant de voir à quel point certains évènements douloureux peuvent nous changer de manière positive, ta capacité de résilience est incroyable. 

Oui, mais est-ce-que c’est seulement le parcours douloureux, ou est-ce-que c’est le parcours douloureux et la foi? Je pense que sans la foi je n’en serais pas là, et je pense que malheureusement beaucoup de femmes ne comprendront pas mon discours parce qu’elles n’ont pas la foi. Je pense qu’on a cette force en plus qui nous porte et nous donne une plus grande résilience. 

Oui, je comprends ce que tu veux dire. Dans tous les cas, tu es un modèle de résilience, de pardon et de foi. C’est impressionnant. Merci de nous confier tout cela, c’est si précieux et si inspirant, cela fait réaliser que l’Amour peut tout ! Alors merci pour ce témoignage vraiment poignant.

Maintenant, j’aimerais clôturer l’interview avec mes trois petites questions rituelles…

Pour toi qu’elle est l’essence de la féminité ? 

Je pense que c’est un état d’esprit. C’est connaitre, savoir et prendre en compte toute la grâce d’être une femme, en être fière et le mettre au service de Dieu. 

Pour toi quel est le rôle de la femme dans la société aujourdhui? 

Pour moi le rôle de la femme c’est d’être élévatrice. C’est celle qui va élever les cœurs, les âmes. Elle est comme les fondations d’une maison, sans fondations on ne peut rien construire. Sans la femme le monde ne tournerait pas rond. C‘est le socle de tout.

Que dirais-tu à la jeune fille que tu étais à 15 ans? 

Je lui dirais de relever la tête, de se tenir droite. Je lui dirais qu’elle est une bonne personne, que Dieu n’a pas éternué en la créant, qu’elle est profondément aimée de lui et que tant qu’elle restera consciente de ça et qu’elle restera droite et vraie, elle ne se trompera pas. Tant qu’elle suit Dieu tout ira bien. Et que de toute façon nous ne sommes que de passage sur terre. On souffre, mais le Bon Dieu envoie ses croix les plus lourdes aux personnes auxquelles il envoie aussi le plus de grâces. Au bout du chemin elle aura elle aussi cette couronne de fleurs, le Ciel lui sera grand ouvert. Qu’elle n’ait aucune crainte et qu’elle avance.

Haut les cœurs !

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